Suicides exemplaires - Enrique Vila-Matas
Sous l'égide de Pessoa (« voyager, perdre des pays »), le projet de
Suicides exemplaires est exposé par le narrateur en introduction , un livre
entrepris « contre la vie étrangère et hostile », comme un voyage littéraire
pour s'orienter dans le labyrinthe du suicide, un voyage pour « épuiser
toutes les nobles options de mort possibles ».
Sur le suicide, le propos est plus léger que ce à quoi l'on s'attend, comme
si le sujet était ailleurs, dans le rapport entre réalité et fiction, entre la vie
et sa représentation.
Les protagonistes des nouvelles de ce recueil voyagent ici dans des vies
incongrues, souvent ridicules, où l'envie d'en finir est la question essentielle,
même si les suicidés en puissance finissent en général par avoir la vie sauve -
avec quelques exceptions notables telles que cet inventeur qui succombe à
une crise cardiaque juste avant de réussir son suicide.
Il y a ce peintre dont la vie semble réussie mais qui traîne une vague tristesse,
une âme mélancolique de vagabond, et une envie de sauter jamais concrétisée,
envahi par l'histoire familiale de son ami d'enfance, rejeton d'une famille de
suicidés (La mort par saudade), une femme de cinquante ans gardienne de musée,
absorbée part l'univers des toiles qu'elle garde, tentée tout au long d'une journée
par des formes très diverses de suicide (Rosa Schwarzer revient à la vie).
Préfigurant déjà Bartleby et compagnie, «L'art de la disparition» évoque un
écrivain secret, homme modeste vivant en étranger sur une île étriquée, ayant
écrit en secret sept romans jamais publiés, qui découvre au jour de sa retraite
qu'il aime être dans la lumière. Il disparaît au moment où il laisse son œuvre
paraître.
« En laissant son regard errer dans la cuisine, elle avait en effet aperçu, au
milieu des cafés, des fromages, du thé, des tartines de pain de seigle au cumin,
des confitures et des rondelles de charcuterie, un cœur solidaire sous la forme
d'une incolore bouteille d'eau de Javel qui, si elle avait pu prendre vie, aurait
sans doute adopté des traits de triste pantin égaré dans le vide insipide d'une
non moins triste cuisine.
Elle se dit qu'il était drôlement facile de mourir et qu'il ne fallait surtout pas
rater cette occasion exceptionnelle. » (Rosa Schwarzer revient à la vie)
Malgré son habileté, l'imagination et l'humour, ce Vila-Matas m'a néanmoins
déçue, inégal et avec des fils de fabrication qu'on a du mal à oublier.
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