Choses vecues Choses lues

Choses vecues Choses lues

Ma mère, musicienne, est morte de maladie maligne à minuit, mardi à mercredi, au milieu du mois de mai mille977 au mouroir Mémorial à Manhattan – Louis Wolfson

Le titre et la jaquette annoncent la couleur. Nous sommes là pour assister à

l’agonie et au décès par maladie maligne de la mère de l'auteur, Rose Wolfson,

au milieu du mois de Mai 1977, dans un roman qui entremêle le journal de Rose

- essentiellement des annotations sur les visites à l’hôpital et examens

médicaux subis entre 1975 et 1977 - et le récit de Louis Wolfson, son fils

schizophrène, habité par des obsessions multiples, dont celle des paris

hippiques.

 

Ce livre (qui est aussi un très bel objet) démarre par une excellente préface

de l’éditeur, qui nous rappelle que Louis Wolfson, du fait de ses internements

et mauvais traitements reçus dans sa jeunesse, a développé une détestation

de sa langue maternelle, l’anglais, et qu’il a ainsi appris, seul, le français,

l’allemand, le russe et l’hébreu, en gardant en permanence sur ses oreilles

des écouteurs stéthoscopiques branchés sur un petit magnétophone, appareil

mentionné sans cesse au cours de ce récit écrit en français.

 

Même s’il fait parfois preuve d’humour et d’une certaine distance vis-à-vis

de lui-même, il faut de la patience pour supporter les allitérations de Louis

Wolfson, ses statistiques délirantes sur les courses hippiques et les chances

de gagner de tel canasson en fonction de coïncidences numériques et allitératives,

son obsession de ces coïncidences, ses haines de l’humanité, du corps médical,

des noirs, des juifs, ses phobies de la maladie, d’être contaminé par la rage,

sa phobie du corps et des excréments. Mais, bizarrement, cette écriture

façonnée dans les obsessions et les allitérations porte le lecteur, comme

une vague.

 

Au final, malgré les internements, malgré les électrochocs et la lobotomie

chimique, malgré la pathologie et les phobies obsessionnelles, malgré tout ce

que ce fils a subi et toutes les barrières à l’expression d’une affection entre

eux, le lien entre le fils et la mère est là, distant mais bouleversant, dans le

fil qui relie le fils né de son ventre au calvaire des métastases du nombril de

Rose, dans ce fils reclus dans sa chambre qui refuse de parler anglais mais

qui lit tout les articles sur les traitements du cancer en français ou en allemand,

dans le parallèle entre le linceul de Rose et la camisole de force de son fils

interné, dans l’impossibilité pour lui de croire au décès de sa mère, dans

la disparition de la mère mesurée à l’aulne de l’Apocalypse.

 

« Je retournai à ma veillée dans la chambre 431, veillée qui continua

peut-être une autre quarantaine de minutes. Aucune résurrection, pas même

la plus petite palpitation perceptible visuellement. Elle devait être bel et

bien morte. Alors, comment faire pour que mon propre cadavre, encore

palpitant, sortît du mouroir Memorial ? »

 

« C’était le 57e anniversaire de Karol Wojtyla, futur pape polonais,

incapable de comprendre le sens profond d’Apocalypse, XXI, 4, que

revoici : …et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni

douleur, car les premières choses ont disparu [la planète, elle-même]. »

 

Un livre hallucinant.

 



29/11/2012
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