Choses vecues Choses lues

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Les Malchanceux - B.S. Johnson

Le livre comme un je(u)

 

Il semble d’abord très ludique, ce livre en morceaux qu’on peut battre et rebattre comme un jeu de cartes, pour lire les chapitres dans l’ordre que l’on souhaite (à l’exception des premier et dernier chapitres), puisqu’ils sont tous reliés séparément. Ce quatrième roman de B.S. Johnson, publié initialement en 1969, met à bas les codes de la narration classique pour coller au plus près au fonctionnement de la mémoire.

 

Dans ce récit largement autobiographique -comme toujours avec B.S. Johnson-, le narrateur, un journaliste sportif, est envoyé dans une ville (City) pour rendre compte du match de football qui va s’y dérouler. Arrivant sur place, il reconnaît immédiatement cette ville, étroitement liée à la mémoire de son ami Tony, disparu à vingt-neuf ans des suites d’un cancer. De la manière la plus fidèle possible, le livre relate, sous la plume d’un narrateur sans concessions avec lui-même et qui ne passe rien sous silence, les souvenirs associés à son ami, des souvenirs anciens –avant la maladie- mais aussi la description implacable de son délabrement physique et de la fin de sa vie ; il y a aussi l’évocation de l’histoire d’amour du narrateur avec Wendy, une histoire qui finit mal et dont il ne peut se détacher, souvenirs tous entremêlés avec la description du match, la rédaction de l’article et avec ses allers et venues dans la ville.

 

Les chapitres non reliés fournissent un rythme de lecture propice aux pauses, à ces blancs si présents dans l’œuvre de B.S. Johnson. Loin du jeu, cette recherche formelle d’une narration de la mémoire avec un livre en fragments est surtout extrêmement émouvante en ce qu’elle révèle de la fragilité de l’auteur, livre de la dissolution d’un écrivain dans sa propre écriture, et par ce va-et-vient permanent entre la gravité de la mort et la futilité de la vie, une vie dans laquelle il faut donner le change, alors qu’on peut tout raconter dans un livre.

 

« Ce boulot va finir par foutre en l’air mon amour de la langue, parfois, j’ai l’impression d’avoir                            égaré peut-être, sinon perdu quelque chose en écrivant ces comptes-rendus, sous la pression du délai, je garde les premiers mots qui me viennent à l’esprit, mais ça peut pas marcher, on peut pas compter sur la possibilité qu’ont les mots de surgir simplement de manière aléatoire dans les limites imposées par la durée d’un match et de l’écriture d’un article, oh mais au moins je ne suis pas comme tous ces M’as-Tu-Vu, j’en suis pas encore là, on connait leurs petites recettes, leurs phrases toutes faites, écrites à l’avance dans leurs beaux carnets, je les vois faire, comme ce frisé de mes deux, par exemple, sans parler des abonnés aux gros tirages, c’est kif kif, tous des vendus, faut pas croire, faut pas être sorti d’Oxford, je me demande pourquoi je continue à faire ce boulot à part la thune, je vois pas, si au moins y avait les matches, mais non, y se passe jamais rien, c’est nul, je me demande pourquoi ils s’accrochent encore ces pisse-copie, depuis le temps, la thune je vous dis, y a que ça qui compte pour eux, et c’est pareil pour moi.           Exactement pareil ! »



13/04/2013
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