Choses vecues Choses lues

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Le sermon sur la chute de Rome - Jérôme Ferrari

« Mais nous savons ceci : pour qu’un monde nouveau surgisse, il faut d’abord

que meure un monde ancien. Et nous savons l’intervalle qui les sépare peut

être infiniment court ou au contraire si long que les hommes doivent apprendre

pendant des dizaines d’années à vivre dans la désolation pour découvrir

immanquablement qu’ils en sont incapables et qu’au bout du compte, ils n’ont

pas vécu. »

 

Deux cousins, Matthieu et Libero, l’un par rêve et l’autre par rancœur,

abandonnent leurs études de philosophie à la Sorbonne pour prendre la

gérance d’un bar dans un petit village de Corse. A la réussite initiale du bar,

qui redonne vie au village, va succéder un échec en forme de pourrissement

et d’écroulement interne, dans cette Corse à l’ambiance funèbre et désertée.

 

A l’inverse de son petit-fils Matthieu qui voulait devenir Corse, son grand-père

Marcel a toujours rêvé, lui, de quitter l’île. Il a vécu l’effondrement sans bruit

de la colonisation, la désolation de sa propre vie, en même temps qu’une lutte

incessante avec les cellules attaquant son corps malade telles des hordes barbares.

Il finit maintenant sa vie, dernier de sa fratrie, muet dans sa maison de Corse

devant une photo de famille de l’été 1918, la photo d’avant sa naissance,

annonce d’un monde à venir et maintenant sur le point de disparaitre pour

toujours.

 

Le roman se boucle avec le personnage d’Aurélie, la sœur de Matthieu, partie

elle pour fouiller le site d’Hippone, la sœur lucide qui tente de sortir Matthieu

de ses fantasmes, de le ramener à la réalité, mais qui est elle aussi confrontée 

à la séparation hermétique de deux mondes, le sien et celui d’un archéologue

algérien avec qui elle a une aventure.

 

« Le sermon sur la chute de Rome » est comme une obsidienne, cette pierre

noire et brillante ; des phrases rutilantes qui s’écoulent, lentes et sereines,

au long des pages, le destin noir des hommes qui assistent impuissants à

l’accomplissement de leur propre naufrage, à la naissance et à la disparition

de leurs rêves, sous l’égide de Saint Augustin. Superbement écrit, c'est un

roman presque trop brillant pour nous toucher au plus profond.

 

« Son professeur d’éthique était un jeune normalien extraordinairement prolixe

et sympathique qui traitait les textes avec une désinvolture brillante jusqu'à la

nausée, assenant à ses étudiants des considérations définitives sur le mal absolu

que n’aurait pas désavouées un curé de campagne, même s’il les agrémentait

d’un nombre considérable de références et citations qui ne parvenaient pas à

combler leur vide conceptuel ni à dissimuler leur absolue trivialité. […] Libero

ne pouvait plus en douter, et il était comme un homme qui vient juste de faire

fortune, après des efforts inouïs, dans une monnaie qui n’a plus cours. »



30/09/2012
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