Grandes espérances – Kathy Acker
Les voies de l’émotion et de la compréhension du monde sont parfois en
lambeaux, comme celle de Kathy Acker.
Kathy Acker a expérimenté les limites dans sa vie et son écriture. Dans
Grandes espérances, elle s’écrit et s’exprime en kaléidoscope par sa propre voix,
par des personnages multiples et par les pastiches des grands écrivains, texte
chaotique qui nous renvoie l’image éclatée du « je », tournant sans cesse autour
des thèmes de sa mère, de l’héritage qui corrompt, de la manipulation, du désir,
du sexe et de la folie.
« PETIT MARI : C’est toujours de ma faute. Tout est toujours de ma faute. Quand
ton chien est mort quand tu avais quatre ans c’était de ma faute. Quand Three
Mile Island fuyait Mère a jeté son nouveau micro-ondes de la General Electric
parce qu’elle pensait que c’était un bouillon de culture pour OVNI martiens :
c’était à cause de moi. Tes amis acteurs cocos me disent toujours que je ne suis
pas assez politisé parce que je ne me plante pas au coin des rues comme un clodo
pour distribuer ce torchon qu’ils appellent un journal dont même un clochard ne
voudrait pas pour se torcher le cul, et puis ils disent que je suis responsable de
l’état général des affaires. Je ne fais rien d’autre que de travailler, tous les jours. »
Ca touche, ça prend et ça dérange, car il y a la violence et le sexe cru, car il faut
accepter l’opaque, accepter de perdre le contrôle, car il y a le manque hurlant
de la mère suicidée. La lecture avide de ces histoires pleines de trous, trous dans
la vie, trous entre les jambes ; lecture avide de quelque chose qu’on ne comprend
pas complètement, comme pour accéder à une révélation, déjà entrevue ?
« Plus on se focalise, plus le récit se brise, plus les souvenirs s’évanouissent :
le moins de signification. »
« Personne dans la famille de mon père n’a feint de manifester du chagrin pour ma
mère. Les funérailles ont été une comédie atroce. J’étais la seule à sangloter de
tout cœur alors qu’autour de moi des hordes de femmes parlaient de Joan Crawford
et de sa fille et de parties de canasta. De temps à autre, je m’en souviens, ma tante
Mabel me disait d’offrir des chocolats à ses amis. Je portais un tricot duveteux couleur
lavande. Une femme entre deux âges a tiré dans tous les sens sur mon tricot et a
hurlé qu’elle voulait l’appartement de ma mère. »
Lectrice emportée par le torrent du texte, du désir, de la peur et de la douleur.
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