Choses vecues Choses lues

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Extraits des archives du district – Kenneth Bernard

Encore un objet littéraire unique qui, grâce aux remarquables éditions Attila, a

atterri dans mes mains reconnaissantes, sans être toutefois exactement un ovni

car les filiations avec George Orwell, Terry Gilliam (Brazil) et surtout Franz Kafka

sont frappantes.

 

«Mon espace personnel, comme le corps des lépreux, s’est amenuisé au fil des

années. D’une façon ou d’une autre, j’ai été découvert, on a empiété sur mon

territoire, la pourriture m’a colonisé.»

 

John, surnommé La Taupe, a décidé de prendre des notes sur sa vie … pour

se distraire. Le titre du roman suggère que celles-ci, comme tout écrit produit

dans cette société future, ont été versées aux Archives du district, organe de

recensement et de contrôle de tous les actes et opinions des citoyens.

 

Les distractions justement, sont devenues rares, ou en tout cas sont initiées

par l’autorité du district, tyrannique et omniprésente, et totalement soumises

à ses règles et contrôles incessants. Les notes initiales de La Taupe mêlent

des comptes-rendus d’activités quotidiennes (présence à un match de football,

visite à la Poste, à la banque ou au supermarché), et des rencontres avec ses

voisins en butte à une violence apparemment arbitraire. Comme les autorités,

La Taupe analyse les moindres faits et gestes du quotidien à la loupe, les

disséquant avec une précision clinique et obsessionnelle.

 

Dans cette société désenchantée, sans enfants et sans joie, les relations sociales

non contrôlées ont disparu. Les seuls humains avec lesquels le narrateur a une

interaction ont soit une fonction utilitaire (guichetier, caissière…), soit sont des

voisins croisés dans l’escalier, soit un ami imposé par l’administration. L’horreur

de cette tyrannie exercée à tout instant sur des vies non seulement coupées

de relations sociales, mais aussi d’une nature supposément devenue toxique

pour l’homme, se révèle au fur et à mesure des chapitres, en particulier

lorsqu’on aborde le sujet des clubs d’enterrement. Chaque habitant, au-delà

de 55 ans, doit appartenir à un club d’enterrement, en vue - officiellement -

de préparer pour chacun des conditions dignes pour son futur enterrement.

 

«Un des points forts des clubs d’enterrement est le système du binôme, une

rémanence des jours de piscine de l’enfance, quand c’était une précaution

contre la noyade. Chacun doit avoir un copain. Un copain est donc assigné à

chaque membre, qui doit le contacter au moins une fois par jour, un peu

comme lever les mains jointes à la piscine lors de l’appel. »

 

«Le district décourage la satisfaction des pulsions tant à l’intérieur qu’à l’extérieur

du club, mais propose bel et bien un service d’assistants sensuels, aussi bien

mâles que femelles, avec un calendrier et une liste de prestations. Le district

interdit formellement certaines formes de plaisir, comme par exemple : tout

ce qui est anal, privant ainsi une partie, marginale mais indéniable, de la

population, de satisfactions légitimes. »

 

La Taupe, enfermé dans un morne quotidien et dans l’acceptation du système,

gagne en lucidité au fur et à mesure de ses observations et de ses notes, et

par ses contacts avec des résistants, rapidement identifiés et écrasés par le

système.

 

Décrivant une société à la fois monstrueuse et très proche de la nôtre,

«Extraits des archives du district» est juste une lecture indispensable, en

plus d’être un très grand livre.



17/12/2012
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