Choses vecues Choses lues

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Bienvenue à Oakland – Eric Miles Williamson

Tremblement de terre dans la baie de San Francisco… avec le ton rageur de ce livre, un texte qui hurle les conditions de vie des travailleurs pauvres, un texte extrêmement dur et d’une très grande puissance.

 

«J’ai fait les pires jobs, les boulots réservés aux ouvriers à la gueule boursouflée, aux bouseux-des-campagnes et aux bides à whisky. J’ai vu sept types claquer sur des chantiers, j’en ai vu d’autres s’écrouler par terre comme des poissons dans la poussière, le futal souillé par la merde, j’ai vu des types au crâne éclaté, explosé comme une pastèque, et comment les yeux se voilent avant de ne plus rien voir du tout. Je suis tombé de fatigue avant la pause de midi. Mais je ne suis pas facteur, je ne suis pas marchand de lait. Aussi pauvre que je puisse être, et malgré le peu d’argent que j’ai pu dépenser en vidéos, en mini-téléviseur et en frigo à glaçons, eh bien, je ne me suis toujours pas transformé en tampon hygiénique usagé de la classe moyenne, complètement lobotomisé par la télévision. Le «  je» de cette histoire, cette chose, c’est le personnage le plus important. C’est moi, T-Bird Murphy.»

 

T-Bird Murphy est d’Oakland, sur les bords pollués de la baie de San Francisco. En face brillent les lumières et l’argent de Frisco. De ce côté de la baie, l’envers du rêve américain est ce monde des travailleurs pauvres qui se font écrabouiller et détruire, qui chopent des maladies en travaillant sur les chantiers de construction, qui dorment avec les cafards et les rats, dans leur voiture, ou dans n’importe quel trou de merde.

 

T-Bird n’est pas là et ne t’interpelle pas, lecteur, pour te faire pitié. Il aurait bien voulu avoir une femme gentille, une maison, une voiture, un sèche-linge et surtout des enfants qu’il élèverait en bon père, à qui il apprendrait à jouer de la trompette… mais il ne veut surtout pas devenir un gros mou lobotomisé à qui sa femme colle des baffes. Alors c’est lui qui colle des baffes au lecteur, très, très loin du politiquement correct. Et tant pis si les femmes sont ici des salopes ; elles s’en sortent comme elles peuvent et essorent leurs hommes au moment des divorces, et se débrouillent toujours pour trouver un type plus riche pour les entretenir.

 

Mais malgré cette violence et ces vies déglinguées, T-Bird aime son milieu et il l’a toujours aimé, car ces gens qui travaillent, se salissent et ne seront jamais propres, sont vraiment VIVANTS. Alors « Bienvenue à Oakland » est une galerie de portraits phénoménale, entre Jorgensen l’ex-marine qui règle les problèmes avec son équipement lourd, Mrs Flynn la voisine d’origine suédoise aux onze fils qui a un vrai sens de la justice, Jones le sculpteur de collines d’ordures dans la décharge publique, FatDaddy le fumier, patron d’une entreprise de lunettes de WC sur mesure, et puis Pop en salopette et à la barbe grise, qui s’est occupé de T-Bird, ce môme qui n’était pas le sien.

 

«-T’es pas mon fils, a dit Pop, mais t’es un bon fils.

-Et toi, t’es pas mon père, mais t’es un fils de pute.

Pop a souri.»

 

Dans la lignée de ses prédécesseurs en littérature du chaos, qui s’étaient penchés avant lui sur le sort des bas-fonds travailleurs de l’Amérique, le « Bienvenue à Oakland » d’Eric Miles Williamson est un séisme de grande magnitude, le genre de choc qui peut fissurer et détruire la skyline idyllique de San Francisco.

 



23/06/2013
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