Une âme damnée – Arnaud Le Guern
Avant ce livre, ce qui restait de Paul Gégauff – en dehors de ses livres et de ses
films – était, soit un grand blanc, soit peut-être le souvenir sa fin tragique.
Assassiné par sa très jeune épouse, Paul Gégauff ne survécut pas au réveillon
de Noël de 1983. Le livre démarre par là.
«Tue-moi si tu veux, mais arrête de m’emmerder.»
Dandy dilettante, stylé et réactionnaire, gloire gâchée du septième art, Paul
Gégauff, né en 1922, n’avait rien fait avant trente-trois ans. Il voulait faire
de la littérature mais ça rapportait moins que le cinéma, alors il a beaucoup
écrit pour Rohmer, Vadim et essentiellement pour Chabrol. Au final, il aurait
voulu surtout ne rien faire. Un dandysme de fin du monde. Arnaud Le Guern
saisit par touches cet homme dans ses époques, des années 40 au début
des années 80. « Avant l’effondrement, Gégauff saisit au vol toutes les
mythologies des dérèglements du temps, qu’il recrache dans une poignée
de films, pour Chabrol et pour d’autres. »
«-Pourquoi tu écris sur Gégauff ?
D’une pirouette, je réponds à miss K. :
-Je n’écris pas sur Gégauff. Je braconne autour de sa silhouette, de ses mots.
De la Norvège à chez Castel, de Saint-Tropez à la banlieue ouest de Paris, de
Tahiti à la fin de la terre, de Trouville aux terrasses du XIVe arrondissement.
Je fais entendre sa voix. »
C’est une voix qui donne envie de disparaître dans des salles obscures qui
n’existent plus, de revoir «Plein soleil», de découvrir «Docteur Popaul» avec
Bebel, de voir et revoir jouer l’immortel Maurice Ronet, dont Arnaud Le Guern
dresse au passage un portrait magnifique «un feu follet, un aventurier, le
seigneur d’un vieux monde de saudade et de petits luxes.»
«Vous menez une vie de patachon. Vous me faites penser à Paul Gégauff.»
On parle toujours de soi-même et Arnaud Le Guern entremêle biographie et
autobiographie, mine de rien. Il nous parle aussi de nous, de ce mal familier
de la fêlure et du naufrage, de soi et du monde.
Mais une âme damnée est surtout un bonheur de lecture. Pour couronner
ce braconnage, il y a les moments heureux d’Arnaud Le Guern avec miss K.
en Bretagne ou sur les rives du Léman, et la filiation de son écriture avec
celle de Jérôme Leroy (pour ma plus grande joie), présente dans les petits
détails - un sms reçu, l’orthographe accrocheuse des coquetèles ou des
ouiquendes - et dans ce territoire précieux de ceux qui refusent le
nivellement du monde et les classifications trop simples.
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