Choses vecues Choses lues

Choses vecues Choses lues

Les Barbares - Jacques Abeille

Le préambule au récit est la conquête de la ville de Terrèbre par les cavaliers des

steppes, ceux qu’on appelle les Barbares.

 

Le narrateur, obscur professeur linguiste  à Terrèbre, se trouve au moment de

l’invasion être le seul connaisseur de la langue des cavaliers. Rattrapé par sa

culture, il va prendre des responsabilités dans la résistance des lettrés, qui

veulent comprendre la langue et les mœurs de l’occupant.

 

Capturé par le Prince des Barbares pour être son historiographe et l’accompagner

dans son voyage de retour vers les jardins statuaires, il va suivre la longue

chevauchée des cavaliers, à la suite de ce Prince qui part à la recherche de

ses racines. Et il découvre progressivement la bienveillance et la culture de

ceux qu’il appelait et pensait comme des Barbares.

 

A la lecture de ce récit où chaque mot semble élu, on pénètre un monde

énigmatique et hors du temps. Récit mythologique, il l’est d’abord par le

personnage du prince, Prince des Barbares ici déchu, personnage énigmatique

aux mobiles obscurs, devenu fou par excès de lucidité, hurlant à la nuit

comme une grande bête solitaire, hanté par le souvenir de ses hordes lancées

dans l’ivresse de la destruction, « un esprit envahi par la béance du monde ».

 

Les Barbares est un voyage dans les contrées intérieures de la pensée et de la

mémoire. Dans les méditations et conversations du narrateur avec ses

compagnons de chevauchée se développent des thèmes universels, la question

de l’identité de celui qui est suspendu entre deux mondes, un questionnement

sur le statut du livre et de l’écrivain, la méditation sur un univers qui disparaît,

celui des Jardins Statuaires, étouffé par ceux qui en avaient fait la grandeur.

 

Le lecteur est possédé par le rythme lent du voyage et du texte, possédé

par les visions de mort et le chatoiement de la sensualité, du texte, de la

nature (parfois) et de la femme bleue, compagne du Prince immensément

sensuelle et bienveillante.

 

«J’étais presque endormi quand le rideau de feutre fut soulevé. Libérée de

tous ses  voiles, celle que je n’osais attendre se tenait sur le seuil, immobile,

d’un bras levé  soutenant les plis de feutre de la lourde tenture. Les lueurs

qui l’éclairaient à  contre jour faisaient de son corps une triomphale statue de

bronze, telle que je  l’avais vue déjà dansant devant un feu, inaccessible et

promise. Son bras s’abaissa. La nuit se referma et je ne la connus plus que

dans la douceur de sa chair fiévreuse et immensément bienveillante.»

 

«Il convient peut-être de se fier aux rêves qui nous projettent au-delà de

nos limites.»

 

Vive le rêve de Jacques Abeille et qu’il se prolonge encore longtemps.

Les Barbares nous projettent hors de nos limites et on semble nous aussi

acquérir l’œil du tigre, ce regard étrange des princes des steppes qui englobe

tout ce qui peut être vu.



14/06/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres