Le Roi et la Reine – Ramón Sender
En 1936, alors que la duchesse d’Arlanza se baigne nue dans la piscine intérieure
de son château, Romulo le jardinier vient s’entretenir avec sa camériste. La duchesse
l’invite à entrer. Elle est nue mais qu’importe, puisqu’il n’est qu’un jardinier.
Avant d’entrer et de découvrir la nudité de cette femme, Romulo entend cette
interrogation de la duchesse en réponse à sa femme de chambre choquée, que
celle-ci le laisse entrer : « Romulo, un homme ? »
Le lendemain, la guerre d’Espagne éclate, les Républicains occupent le château et le
récit devient un face à face entre le jardinier et la duchesse, dans ce château immense
en plein chaos qui semble être une scène de théâtre ou bien le lieu imaginaire d’un
rêve fantastique entre le sommet de la tour ou la duchesse est refugiée, et la cave
abritant un nain fasciste qui se bat contre les rats.
Le Roi et la Reine est le livre d’un homme, Romulo le jardinier, en pleine confusion,
un personnage extraordinaire pris entre son dévouement à la duchesse, son innocence,
son ignorance de la chose politique, sa compréhension douloureuse du mépris dont il
a été l’objet, son désir et son obsession grandissante pour le corps de la duchesse, sa
sensibilité et sa violence enfouies qui ressurgissent, sa finesse et sa sensualité
insoupçonnées sous ses airs de paysan.
« Romulo avait passé des heures et des heures à contempler un parterre d’arums.
Dans leurs profonds entonnoirs blancs entraient souvent une abeille ou un bourdon.
Certains de ces bourdons étaient parfois de grande taille, veloutés, vêtus avec un
luxe asiatique et se mouvaient avec une sorte de gravite religieuse. Il avait vu un
de ses insectes entrer lentement au sein d’une fleur, comme un roi dans sa
chambre. […]
Lorsqu’ il retourna dans le parc, il eut l’impression d’en être le propriétaire. Depuis
plusieurs années il savait que par-dessus l’arbre le plus haut, du côté des lavoirs,
chaque soir, à l’automne, naissait la première étoile et qu’elle disparaissait au matin,
jusqu'à la mi-novembre, derrière sa maison (à présent derrière le drapeau républicain).
Le soleil, en revanche, se levait chaque jour par-dessus le mur, entre les deux
lointaines rangées d’édifices qui se perdaient vers la place du Progrès. Si les
miliciens ne revenaient jamais et si lui restait là, dans ce domaine et avec la
duchesse, il se sentirait aussi comme ces bourdons qui lentement s’enfoncent au
cœur d’un magnolia. »
C’est le livre bouleversant d’un homme qui devient roi et d’une duchesse qui devient
femme, descendant les étages de la tour alors qu’elle gagne en humanité.
Joie de la découverte, Ramón Sender, disparu en 1982, écrivit – outre celui-ci dédié
à son frère fusillé par les fascistes en 1936 - une soixantaine de livres qui, dans leur
immense majorité, ne sont toujours pas traduits en français. A suivre donc, grâce
aux éditions Attila, ces dénicheurs de beaux textes et d’auteurs merveilleux.
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