La peau - Curzio Malaparte
Dans « La peau », la Libération par les Alliés n'a pas le visage de la liesse
et des bals populaires.
En 1943, Curzio Malaparte est officier de liaison auprès des troupes alliées,
et donc à Naples avec les Américains qui viennent de débarquer. Naples
est alors une ville exsangue dévorée par la faim, peuplée de femmes et
d'enfants décharnés, aux visages couleur de cendre, de napolitains réduits
à la prostitution et à vendre leurs enfants. La misère et la honte des napolitains
luttant pour survivre les réduisent, selon Malaparte à une condition encore plus
tragique que la guerre.
«Avant la guerre, nous avions lutté et souffert pour ne pas mourir. Maintenant,
nous luttions et nous souffrions pour vivre.».
«Vous ne pouvez pas imaginer de quoi est capable un homme, de quels héroïsmes,
de quelles infamies il est capable, pour sauver sa peau. Cette sale peau.»
Écrivain visionnaire et inlassable témoin, Malaparte grave ici des pages superbes
marquées par la précision chirurgicale de sa plume mélancolique, la qualité picturale
de ses descriptions qui rendent vivants et palpables l'ambiance des ruelles de Naples,
les lèvres vermeilles des femmes, le bleu du ciel et de la mer, les murs décrépis,
la splendeur et la pourriture de la chair, ou encore l'éruption du Vésuve de 1944.
Dans une «Europe réduite à un tas de chair pourrie», dans Naples humiliée,
Malaparte décrit aussi à merveille l'état d'esprit des Américains, leur pudeur,
leur attitude parfois puérile ou méprisante, leur culpabilité dans une Europe
incomprise.
Enfin, son humour est salvateur, inoubliable dans des scènes comme la vente
à leur insu des soldats noirs américains par les napolitains qui se les passent
de main en main, ou bien l'épouvante des convives devant le poisson sirène
en forme de petite fille servi au dîner donné par le général Cork en l'honneur
de Mrs. Flat, épouse d'un sénateur américain.
«Il n'est rien de plus humiliant, pour un peuple réduit à l'esclavage, qu'un
maître aux manières frustes, aux goûts grossiers. Parmi ses nombreux maîtres
étrangers, le peuple napolitain n'a conservé un bon souvenir que de deux français,
Robert d'Anjou et Joachim Murat : le premier savait choisir un vin et apprécier
une sauce, et le second non seulement savait ce qu'est une selle anglaise, mais
savait aussi tomber de cheval avec une suprême élégance. A quoi bon traverser
la mer, couronner son front du laurier des vainqueurs, si l'on ne sait pas se
tenir à table ? Qu'étaient donc ces héros américains qui mangeaient du maïs
comme les poules ?»
A découvrir aussi
- Vie de Joseph Roulin - Pierre Michon
- Christie Malry règle ses comptes - B.S. Johnson
- Intermittences - Celia Levi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 2 autres membres