Vie de Joseph Roulin - Pierre Michon
«Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher
ou ne vaut rien ?»
Joseph Roulin, employé des Postes à Arles puis à Marseille en cette fin
de dix-neuvième siècle, a accédé à une double immortalité, d’abord avec
les portraits de lui peints par Van Gogh, puis par la magie de l’écriture de
Pierre Michon, dans ce livre paru en 1988, cent ans après la rencontre
entre Joseph Roulin et Vincent Van Gogh.
A partir des signes laissés par ces portraits, et de quelques autres traces
biographiques, Pierre Michon donne corps et vie à Joseph Roulin ; sa
rencontre avec Vincent, ce que lui, Joseph Roulin, a pu penser, ou bien ressentir,
de la peinture de Vincent devenu Van Gogh, les discussions des époux Roulin
évoquant Van Gogh après sa mort - pauvre bougre ayant dépensé tant de forces
pour rien dans les champs d’Arles - et enfin la vieillesse de Roulin à Marseille,
et ce qu’il advient de son portrait, celui que Vincent lui avait donné.
« Et les soirs de 14 Juillet commencés pourtant dans la bonne humeur,
son uniforme neuf astiqué, entre les clairons et les trois couleurs, les zouaves
et les turcos, le ciel bleu, les soirs de prise de la Bastille on n’a rien pris et on
finit par rester tout seul à une table dans un bistrot près du port, avec
devant soi la mer qui est noire, les amis qui vous ont laissé à vos radotages,
les jeunes mauvais qui vous regardent et rient avec les écaillères, la blanche
qui coule dans la barbe et l’uniforme neuf qu’on a taché, et quand en colère on
se lève, qu’on pousse la chaise et qu’elle tombe, ce n’est plus révolte, ce
n’est plus acompte pris sur la république à venir, c’est la république elle-même
qui tombe dans cette chaise qu’on regarde avec stupeur et quelque chose comme
des larmes, ultimes mais qui pourtant ressemblent à du bonheur, la république
délicieusement perdue, effondrée là, dans le passé ; »
Obscur employé de la Compagnie des postes, républicain et noyé dans l’absinthe,
Joseph Roulin est immortalisé en moujik, en satrape à la barbe massive et fleurie,
en icône « comme un saint au nom compliqué ».
Tellement beau que les larmes coulent et que plus rien d’autre n’existe.
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