La conscience de Zeno - Italo Svevo
«- La vie n’est ni belle ni laide, dis-je. Je trouve plutôt qu’elle est originale.»
Suite au conseil de son psychanalyste, Zeno Cosini, rentier de cette zone
frontalière fascinante de Trieste, explorateur minutieux de ses propres gestes
et émotions, consigne en ce début d’année 1915 ses souvenirs dans un journal
rédigé à la première personne, support de son travail d’introspection..
Être d’une grande duplicité, velléitaire, irrésolu, hypocondriaque et désinvolte,
Zeno est un antihéros pour qui la vie est finalement plutôt douce. On ne l’aime
ni on le déteste, mais on s’attache à son humanité, tout simplement. Zeno
nous livre ici ses faiblesses, alternant lucidité et complaisance, et son destin
s'avère plus radieux que celui de ceux qui l’entourent, et qui semblaient au
départ doués de dons et d’une propension au bonheur beaucoup plus grands.
L’objet des investigations intimes de Zeno est tout d’abord la cigarette, et avec
elle le rituel toujours répété de la dernière cigarette, puis l’épisode bouleversant
de la mort de son père, son mariage et les relations avec son épouse et sa
maîtresse, qui montrent au passage l’amplitude des bouleversements des relations
maritales et sentimentales depuis un siècle, sa paresse de rentier, ses expériences
commerciales malheureuses et l’illustration d’une certaine décadence, celle du
capitalisme de ce début de XXème siècle et de la première guerre mondiale qui
envahit le roman dans le dernier chapitre, avec en conclusion ce qui semble être
une vision prémonitoire des cataclysmes de la seconde guerre mondiale.
«Giovanni Malfenti satisfaisait ma passion de la nouveauté. Il était très différent de
moi et de toutes les personnes dont j'avais jusqu'à présent recherché la compagnie.
J'étais assez cultivé, après deux cycles d'études universitaires et à cause de ma
longue inertie (je crois l'inertie très constructive). Lui, au contraire, était un grand
négociant, ignorant et actif. De son ignorance résultait une force sereine dont le
spectacle faisait mon enchantement et mon envie.
Malfenti avait alors cinquante ans environ, une santé de fer, un corps énorme : gros,
grand et pesant plus d’un quintal. Les rares idées qui s’agitaient dans sa large tête
étaient par lui si clairement conçues, si parfaitement assimilées, si constamment
appliquées à sa pratique des affaires qu’elles semblaient faire partie de sa personne,
au même titre que ses membres. […]
Il était tout disposé à m’instruire ; il inscrivit même sur mon carnet les trois
commandements où se résumait, selon lui, le secret d’une entreprise prospère :
I. Il est inutile de savoir travailler, mais qui ne sait pas faire travailler les autres périt ;
II. Il n’existe qu’un grand remords : celui de n’avoir pas agi dans le sens de son intérêt ;
III. En affaires, la théorie est très utile, mais elle n’est applicable qu’une fois l’affaire
liquidée.»
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