La Base - Hugues Jallon
Après Zone de Combat, je me suis empressée de me procurer La Base (d’occasion ;
l’éditeur serait bienvenu de rééditer ce bijou hélas épuisé) et cette lecture fut un
deuxième choc.
La Base est la première fiction publiée d’Hugues Jallon (si on veut bien appeler ce
livre de la fiction), un livre paru en 2004, et il faut le lire car Hugues Jallon est un
créateur d’objets littéraires totalement nouveaux, déroutants et fascinants.
La Base, sous-titré « Rapport d’enquête sur un point de déséquilibre majeur en
Haute Mer [une histoire de l’après-guerre] » est effectivement un rapport,
rédigé dans une langue d’entreprise faite de formules administratives et
dépourvue de tout affect, un rapport qui présente des documents provenant
de sources différentes, parfois annotés, avec beaucoup de références, renvois
vers des articles, des publications et des événements réels.
«Sealand est une masse inerte, qui vit à l’écart de notre monde. C’est une
fiction ténébreuse, aux mains de personnages étranges et douteux. À sa
manière, le texte qui suit est aussi une fiction, quoique la plus grande part
des faits et événements qui y sont mentionnés se soient effectivement produits.»
Cette enquête sur Sealand, ancienne base militaire et micro-nation située en mer
du Nord, près de l’estuaire de la Tamise, mélange les faits réels et la fiction de
façon inextricable (même si, en fait, la plupart des faits sont effectivement réels
et facilement vérifiables). L’enquête est menée par une équipe d’agents secrets
opérant pour une organisation secrète, apparemment privée, beaucoup plus
performante semble-t-il que les traditionnels services d’espionnage des états,
très influente dans la sphère économique, mais dont les buts et l’identité de ses
membres ne nous sont pas dévoilés clairement. L’enquête concerne Sealand,
son histoire et le développement de sa souveraineté, et la disparition ou
dissidence d’un membre de l’équipe, la recherche illusoire d’un Eden perdu
ou d’un espace échappant au contrôle, d’un contre-pouvoir, le tout formant
une critique très parlante de l’évolution de notre société, d’un système dont
la sauvegarde justifie tout, sous couvert de la sauvegarde de la démocratie.
S’agit-il d’un écrit extrêmement lucide ou du rapport d’une organisation aux
buts insensés ? De quel côté est la justice ? Avec ceux qui utilisent la Base
pour diffuser des émissions de radio pirates ou comme plateforme pour la
défiscalisation de sociétés internationales, du côté des enquêteurs, ou bien
nulle part ? La lecture entretient le doute jusqu’au bout.
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