Choses vecues Choses lues

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L'aleph - Jorge Luis Borges

Comment communiquer l’allégresse, les sentiments de profondeur et de hauteur

dans lequel ce livre  emporte ?
«Sur toute l’étendue de la terre, il existe des formes antiques, des formes

incorruptibles et éternelles». Le génie de Borges permet de les entrevoir et de

les ressentir.

 

L’aleph est un recueil de dix-sept nouvelles publiées initialement entre 1947 et 1952,

envoûtantes, portées par cette narration en forme de rêves. Certaines sont plus

difficiles d’accès mais je les ai toutes aimées.

 

Dans "L’immortel", la nouvelle qui ouvre le recueil, Marcus Flaminius Rufus, tribun

d’une légion romaine, déçu par le goût amer des triomphes de César, part en quête

de la secrète Cité des immortels et de son fleuve, dont l’eau procure l’immortalité.

Son errance jusqu'à la découverte du fleuve nous révélera la vanité de cette quête,

et l’abolition de la propre existence de l’homme lorsque celui-ci affronte l’infini,

comprend l’universel.

 

«L’humilité et la misère du Troglodyte ressuscitèrent dans ma mémoire l’image

d’Argos, le vieux chien moribond de L’Odyssée. Je lui donnai ce nom et j’essayai

de le lui apprendre. J’échouai, et plus d’une fois. Les ruses, la rigueur et

l’obstination se révélèrent également vaines. Immobile, les yeux fixes, il ne paraissait

pas entendre les sons que je tentais de lui inculquer. A quelques pas de moi, il

semblait extrêmement loin. Etendu sur le sable, comme un petit sphinx de lave

écroulé, il laissait tourner sur lui les cieux depuis le crépuscule de l’aube jusqu'à

celui du soir.»

 

«Quand s’approche la fin, il ne reste plus d’images du souvenir ; il ne reste plus

que des mots. Il n’est pas étrange que le temps ait confondu ceux qui une fois

me désignèrent avec ceux  qui furent symboles du sort de l’homme qui

m’accompagna tant de siècles. J’ai été Homère ; bientôt, je serai Personne,

comme Ulysse ; bientôt je serai tout le monde : je serai mort.»

 

Dans ce recueil, les thèmes se répètent, à l’image des miroirs et des labyrinthes que

l’on y rencontre, les thèmes de la circularité de la vie, du temps et de l’espace, de la

recherche de ce qui est immuable, du rapport de l’infini et du fini, de l’appréhension

de l’univers à partir d’un point ou d’un objet - autour de cette question sans

aboutissement, comment l’esprit humain peut-il affronter l’infini ?

 

«Que meure avec moi le mystère qui est écrit sur la peau des tigres. Qui a entrevu

l’univers, qui a entrevu les ardents desseins de l’univers ne peut plus penser à un

homme, à ses banales félicités ou à ses bonheurs médiocres, même si c’est lui cet

homme. Cet homme a été lui, mais, maintenant, que lui importe ?» (L’écriture du Dieu)

 

Malgré la multiplication des références littéraires et historiques, Borges ne se fait pas

écrasant car la pensée la plus haute rejoint l’émotion la plus profonde.

 

L’aleph est un livre dont on sait que l’on va le lire et le relire, pour polir le texte

comme un galet roulé dans les vagues, tellement le désir de s’approprier et

d’aimer ce texte est grand.



30/06/2012
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