Choses vecues Choses lues

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Holy smoke - Guillermo Cabrera Infante

Publié en anglais en 1985, et en 2007 pour la traduction française, «Holy smoke» est un livre étonnant et assez réjouissant, à l’heure où le politiquement correct est si souvent mal placé, et où l'on peut se faire vilipender simplement parce qu’on fume dans la rue : c’est une histoire et un éloge passionné du cigare, dont la publication aux Etats-Unis coïncida avec le début des campagnes anti-tabac.

 

«Un cigare est comme une passion : d’abord on l’allume, puis il brûle rouge, violet, violent, virulent, ensuite il créé des braises et tombe en cendres : une passion consumée.»

 

Tout commence avec Christophe Colomb qui arrivant à Cuba, qui au lieu de l’or attendu découvre le tabac : Rodrigo de Xeres, envoyé à terre, tombe sur ceux qu’il va appeler les hommes cheminées, et va y fumer son premier tabac, à l’endroit qui s’appelle Gibara, précisément là où est né Guillermo Cabrera Infante. À son retour en Espagne, sa femme le découvrant fumant et donc homme cheminée à son tour, pense qu’il a conclu un pacte avec le diable et court le dénoncer à l’Inquisition ; il finira ainsi brûlé sur un bûcher, lui-même transformé en cigare !

 

Dans ce livre on a l’impression de tout apprendre, sous formes d’anecdotes et d’incessantes digressions, sur l’histoire de la découverte du tabac par les occidentaux, tout sur l’objet cigare, la bague, la coupe, l'art d'allumer son cigare, le plaisir de fumer, les moments de la journée pour fumer, les gestes, les marques, les détracteurs du tabac, donc le premier d’entre eux – Christophe Colomb, et le pire d’entre eux, Hitler. On découvre les manufactures de tabac, Cabrera Infante démolit (hélas, diront certains !) le mythe de mulâtresses travaillant en jupon et torse nu, et qui rouleraient les cigares sur leurs cuisses, comme on les imagine dans Carmen, qui furent une réalité dans le sud de l’Espagne mais pas à Cuba, mais nous fait découvrir la lecture de littérature aux ouvriers dans les manufactures de tabac, œuvres choisies par les ouvriers eux-mêmes mais plus tard remplacées par la lecture des œuvres de Fidel Castro. On découvre plein de faits étonnants et notamment qu’une manufacture de cigares a existé au centre de Manhattan, sur Union Square. Ce récit évoque toutes les formes de tabac, cigarettes, tabac à priser … mais c’est avant tout une ode au cigare.

 

«Holy smoke» est aussi et surtout une «savante chronique des rapports entre le cigare et le cinéma», d’où la couverture avec Groucho Marx et son cigare, avec 200 films passés en revue, évidemment pour le lien entre le cigare et le monde du spectacle, parce que les cigares ont toujours été associés à Hollywood, et pas seulement à John Ford ou Orson Welles.

«Les cigares sont comme le cinéma, un art qui est une industrie, une industrie qui fait de l’art. Comme les films, les cigares constituent le matériau dont sont faits les rêves.»

«Pourquoi tant de films, mon vieux ? Parce que ceux qui oublient les œuvres du passé sont condamnés à voir des remakes.»

 

Ce livre comporte enfin une deuxième partie «Ta vague littérature», une anthologie du fumoir par les écrivains, ou ce que les écrivains ont pensé et écrit sur l’acte de fumer, beaucoup d’extraits et de commentaires sur la littérature classique anglo-saxonne (de Dickens, Stevenson, à Dashiell Hammet ou Hemingway), et sur quelques auteurs russes, espagnols ou français.

 

«Holy smoke» est l’œuvre d’un obsessionnel érudit, un texte très vivant, dans un style nerveux, dialogué, qui avance par digressions et associations d’idées, d’une culture cinématographique exceptionnelle, un récit truffé de calembours, de centaines d’images et d’anecdotes, drôle, ironique et pas du tout fumeux, plutôt pour les passionnés de cigare, de cinéma, ou des deux.



09/11/2013
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