Choses vecues Choses lues

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Big sister - Jérôme Leroy

Malgré les dénégations de l’auteur en préambule (« Les personnages, les

événements et les lieux décrits sont totalement imaginaires. Toute ressemblance

avec des personnages, des lieux ou des faits réels serait une simple coïncidence. »),

cette Big sister de l’an 2000 ressemble beaucoup plus à notre réalité que son

grand frère orwellien.

 

Le monde de Big sister est en faillite généralisée : Dérèglements climatiques,

pics de pollution incessants, empoisonnement des aliments par les produits

chimiques, abrutissement des individus par les psychotropes, épidémies

inexpliquées de suicides, émeutes urbaines et policiers anti-émeutes agissant

et tuant dans une impunité totale, recours indispensable à des sex-simulateurs

pour éprouver du plaisir, c’est un monde dans lequel tout comportement

différent est considéré comme une pathologie dangereuse pour la sécurité publique.

 

Pour contrôler les individus et frapper avant que les comportements « déviants »

ne se développent, la grande sœur veille en secret, super ordinateur à la douce

voix de femme, « cube parfait de trente mètres sur trente, forme pure au ciel des

Idées, archétype platonicien gris pale bourré de microprocesseurs, de silicium, de

cristal et de nanotechnologies. »

 

Tout le talent de Jérôme Leroy s’exprime dans ses personnages, leur complexité,

leur poésie et leur humanité pour trouver une sortie honorable dans ce monde

pourri : Jean-Marie Geoffroy, le milliardaire repenti, le lieutenant Kieffer, Saint-Cyrien

travaillant dans le centre secret au service de Big sister, Max Borde, directeur d’un

musée de peinture, en retrait de la vie depuis la disparition de sa femme aimée,

et Céline Loup, jeune et belle blonde au corps de liane, activiste résistante à

l’abrutissement et aux folies de ce monde artificiel, elle représente de ce qu’il y

a de meilleur en nous, y compris dans nos excès. Et puis il y a tout de même un

vrai méchant, le capitaine Dunkerque, boucher sadique exécutant des basses

œuvres de la grande sœur, ... et bien sûr les états d’âme de la machine.

 

« La pluie redoubla, ce qui ne la dissuada pas de pousser un peu le moteur de sa

voiture, une Ford Cougar presque aussi vieille qu’elle.  A vingt-quatre ans, Céline Loup

était consciente d’avoir des plaisirs qui entraient de plus en plus en contradiction

avec la morale officielle. Elle aimait la littérature, le vin, le sexe non virtuel, les

armes à feu, les penseurs radicaux, les cigarettes et bien sur la vitesse. Une

véritable petite encyclopédie des nuisances à elle toute seule… »

 

J’ai refermé ce court roman de cent cinquante pages, très prenant et émouvant,

juste avant d’atterrir à Londres à sept heures ce matin, de passer les portiques

électroniques de contrôle des passeports, de sortir du parking sous l’œil des

centaines de cameras de surveillance. Heureusement, le ciel semblait clair, pas de

pic de pollution en vue. Là, je me serais volontiers allongée à l’ombre d’un arbre

avec un recueil de poésie, plutôt que d’aller au bureau.



19/09/2012
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