Amuleto – Roberto Bolaño
Auxilio Lacouture, uruguayenne, amie du Mexique et des poètes, a débarqué
à Mexico en 1965. Celle qui se surnomme la mère de la poésie mexicaine se
rend utile en nettoyant la poussière dans les rayonnages de livres des grands
poètes, en trainant dans l’université, où elle trouve des petits boulots, en
lisant les textes des jeunes poètes mexicains, dans un récit qui dès le départ
s’effiloche vers le drame et la décomposition. Elle rencontre en particulier le
jeune Arturo Belano, le double romanesque de Bolaño présent dans toute
son œuvre, qui n’a alors que dix-sept ans.
En septembre 1968, les soldats et les chars de l’armée envahissent l’université
du DF, arrêtent ceux qui sont là, battent et tuent. Auxilio, qui lisait les poèmes
de Pedro Garfias aux toilettes, va rester seule dans l’université, devenant
une résistante passive, restant terrée là pendant treize jours.
Cette séquence est la scène primitive autour de laquelle passé et présent se
cristallisent, le révélateur des événements passés et futurs. Personnage seul
et souvent triste, Auxilio est une sorte de Don Quichotte féminine, le témoin
de la terreur et du désespoir de l’Amérique Latine, comme un double de Belano
qui douterait de ses paroles et de ses actes. Elle est le témoin de l’espoir mort-né,
une observatrice survivante des massacres de 1968, et en parallèle des espoirs
éteints d’une avant-garde poétique condamnée à disparaître prématurément.
Belano, lui, repart au Chili pour faire la révolution avec Allende et revient au
Mexique après son emprisonnement en 1974. Il revient, changé par le regard
et l’attente de ses amis mexicains, le malentendu de ceux qui pensent qu’il
peut tout affronter, que sa peur s’est évanouie dans les événements du Chili.
Le roman s’enlise en son centre mais il contient déjà la beauté de ce rapport
fragmenté au temps et à l’espace qu’on retrouve souvent chez Bolaño, comme
dans un rêve oscillant entre terreur et mélancolie.
«Et Remedios Varo me regarde et son regard me dit : ne t’en fais pas Auxilio,
tu ne vas pas mourir, tu ne vas pas devenir folle, tu maintiens le flambeau
de l’autonomie universitaire, tu sauves l’honneur des universités de notre
Amérique, le pire qui pourrait t’arriver ce serait que tu maigrisses horriblement,
le pire qui pourrait t’arriver ce serait que tu aies des visions, le pire qu’il
pourrait t’arriver ce serait qu’ils te trouvent, mais ne pense pas à ça, reste
forte, lis le pauvre Pedrito Garfias (tu aurais bien pu apporter un autre livre
aux toilettes, voyons) et laisse flotter librement ton esprit dans le temps,
depuis le 18 septembre jusqu’au 30 septembre 1968, pas un jour de plus,
c’est tout ce que tu as à faire.
Et alors Remedios Varo referme la porte. Dans le dernier regard qu’elle lance
pour qu’il vienne éclater dans le mien, je comprends, sans recours aucun,
qu’elle est morte.»
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