Choses vecues Choses lues

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Zazen - Vanessa Veselka

Fille d’anciens gauchistes qui ont éduqué leurs enfants pour les préparer à une révolution qu’ils ne déclencheront jamais, Della Mylinek, spécialiste de géologie et de paléontologie, travaille comme serveuse dans un resto végétalien de Portland au nom comme un miroir aux alouettes : "Si on chantait".  

 

L’Américaine dystopique de "Zazen" bascule dans le chaos, et Della elle aussi est en pleine confusion, traversée de courants d’incertitude et de sensations fortes, vagues qui la submergent dans ce monde absurde, avec trop de choix pour consommer et trop peu de sens pour vivre. Alors Della essaie de comprendre, de donner un sens au monde en le cartographiant : «Des cartes de Pangea et de Gondwana, avant que les coutures ne craquent […] carte du Sentier des larmes, carte des pistes cyclables, plan de métro et un croquis que j’ai fait à douze ans et que j’ai intitulé "Le monde de Della", titre inscrit au feutre parfumé en haut de la feuille.»

 

Cette vie déstructurée, avec ses fulgurances poétiques, comme des fragments éclatants de beauté avant la dissolution du monde, est le parfait miroir d’une civilisation vide de sens.

 

«Les télévisions sont allumées jour et nuit à présent jour et nuit. Les lumières baissent ; tous se meuvent dans l’ambre et tremblent comme des bougies à la veillée. Un jour, nous en serons tous là, insectes dans la sève, étranges joyaux.»

 

Il faut dire que cette Amérique est en état de décomposition avancée. Marchandises et nouvelles églises ont fusionné, peur des attentats et présence policière recouvrent la ville d’un nuage plus opaque que les fumées des attentats eux-mêmes, et des conflits larvés attendent leur embrasement. Reste-t-il quelque chose à sauver dans ce monde ? La plupart des Américains pensent que non, et préfèrent quitter le pays s’ils le peuvent, pour partir sous des cieux moins brouillés, Bali, la Thaïlande ou le Honduras.

 

Sur place, la contre-culture, digérée par la société de consommation, est devenue la norme, et les anarchistes de bac à sable sont aussi inoffensifs qu’inefficaces pour enrayer, ou même retarder, la décomposition du cadavre américain.

 

«Devant moi, le batholite, le Wal-Mart. Le parking était parsemé de véhicules ; les vigiles patrouillaient sur les voies d’accès. Je n’y étais pas revenue depuis la fin de la campagne et notre échec cinglant. Nous avions assisté à l’inauguration comme on regarde un accident de la circulation. Ultime initiative de Credence : nous devions convaincre les futurs clients de signer une pétition exigeant que "la compagnie respecte des conditions équitables pour les communautés locales." Il aimait ça, Credence : conditions équitables pour les communautés locales. Pour un travailleur social, c’est comme deux seins nus, ces mots. Comme si tout le monde allait signer son torchon et découvrir soudain sa vraie place dans la constellation de l’oppression sociale. Petites étoiles ! Petites étoiles ! Blanchies et tremblantes, égayez-vous – et chaque pétition est un feu de prairie et toutes les signatures de précieux oiseaux tombés, affaiblis, du misérable nid et transportés tendrement jusqu'à la maison. Tenir la main aux mourants. Voilà ce que nous faisions.»

 

Autour de Della, qui voudrait désespérément croire en quelque chose et changer le monde, mais sans faire de dommages, et qui va finalement se jeter dans l’action, portée par ce désir de croire et par ses compétences de doctorante devenues inutiles dans une société dominée par des petits boulots précaires, Vanessa Veselka a écrit un roman ironique et cruel, et sainement dérangeant.



19/11/2013
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