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Ma dernière création est un piège à taupes - Oliver Rohe

Le barbon Mikhaïl Kalachnikov a rendu l’âme, le 23 décembre 2013, et on a pu lire des articles célébrant son parcours, et le «succès» commercial de son invention, dans les plus grands journaux.

 

Adaptation d’une pièce radiophonique publié en 2012 aux Editions Inculte, «Ma dernière création est un piège à taupes» recèle, sous une écriture simple et d’une apparente froideur, une narration brillamment conçue - juxtaposant les fils entrelacés de la vie de Mikhaïl Kalachnikov, de l’histoire de l’AK-47 «symbole brandi par l’exploité contre le capitaliste, par l’opprimé contre le colonisateur» devenu une marchandise courante, et enfin des images de guerre, témoignages de la fragmentation des conflits, et de l’horreur du spectacle diffusé par les grands media, créateur de compassion et de satisfaction personnelle -, une approche narrative qui permet d'écarter tout risque d’une fascination esthétique pour une arme devenue une «icône», la kalachnikov AK-47.

 

On découvre ici un Mikhaïl Kalachnikov ingénieur de génie, totalement dévoué à l’efficacité guerrière autant qu’à l’esthétique de son invention, sans aucune attention à ses conséquences, par  aveuglement ou par stupidité.  Cet homme, qui était aussi poète, est représenté en chien aboyeur, toujours focalisé sur l’amélioration de son arme, bien que la défaite allemande, son obsession initiale, ait été depuis consommée depuis des décennies et malgré la diffusion de l’AK-47 sur tous les théâtres de conflits, finissant par se retourner contre l’Armée rouge elle-même.

 

Une lecture dont on ne peut regretter que la brièveté, d’une intelligence et d’un souffle impressionnants.

 

«Il était maintenant assis sur une couverture pliée et dans la paume de ses mains ouvertes et fébriles, délicatement recueilli comme une corneille blessée : un pistolet automatique qu’il avait déterré de sa cachette par accident, quelques minutes plus tôt, en heurtant une latte irrégulière du plancher. Il touchait là pour la première fois de sa vie à une arme à feu et ça avait été comme un jeune chien découvrant son aboiement. Stupéfait par l’étrangeté de cette soudaine profération, mais pressentant qu’à travers elle il coïncidait avec sa nature, rejoignait sa destination.»

 

«La perte de plusieurs milliers de ces soldats russes tombés dans les opérations de harcèlement constant et les innombrables traquenards mitonnés pour eux par des moudjahidin pareillement pourvus de fusils d’assaut AK-47 avait constitué une étape décisive, sans doute même la première, dans le processus de démantèlement de l’empire communiste ; ces pertes accumulées dans les rangs de l’Armée rouge étaient le signe manifeste d’un soulèvement de l’organisme soviétique contre lui-même, comme si la simple présence de ces armes parmi les ennemis intérieurs afghans contenait déjà la promesse biologique d’un cancer à venir.»

 



08/01/2014
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