Choses vecues Choses lues

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Les saisons - Maurice Pons

« Il arriva par le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l’automne, qu’on appelait

là-bas : la saison pourrie. »

 

Sous des stries ininterrompues d’une pluie drue, Siméon, un étranger échappé des flammes de l’enfer, arrive dans un village hostile et boueux, au creux d’une vallée encerclée de montagnes.

Malgré la misère et l’agressivité des villageois, créatures hideuses et souvent estropiées, qui ont tous fermé portes et volets à son approche, il pose son havresac et, saisi d’une émotion naïve, veut voir dans ce village un lieu de grâce et de bienfaisance.

 

Siméon est laid lui aussi, mais il est porteur de l’espoir, nourri par son ambition de devenir écrivain, et le seul objet immaculé dans ce bourbier de cauchemar est le beau papier blanc et satiné qu’il transporte. Mouton noir malhabile, les éléments vont se liguer contre lui, cet étranger inadapté qui prétend écrire, qui brûle de raconter sa vie, qui ose imaginer un destin pour son œuvre.

 

Rien ne nous sera épargné dans ce livre d’une noirceur totale. Dès la première phrase, et pendant seize mois d’automne et quarante mois de gel, « Les saisons » vous entraînent dans un univers de sauvagerie et d’incompréhension. On peut certes se divertir de voir les habitants se réchauffer avec des animaux vivants attachés a leur taille, rire de ne les voir bouffer que des lentilles, sourire de Siméon ému puis obsédé par une villageoise qu’il a vu nue, se baignant, mais on est rattrapé après quelques lignes par la vulgarité et la barbarie.

 

Livre de l’espoir gangrené qui meurt, ce  grand roman de 1965 a déjà une longue lignée de descendants, mais n’a pas du tout vieilli.

 

« Le brigadier, pressentant cette fois que la prise était de taille, s’appliqua à cerner davantage le suspect : il alla jusqu'à demander à Siméon « quelle sorte d’écriture il faisait ».

- Ce n’est pas facile de l’expliquer en deux mots, fit Siméon embarrassé – car dans la seconde même, il avait perçu une sorte de vision globale et cependant indéfinie du livre qu’il voulait écrire, avec la brûlure sombre de son soleil et l’ombre des cages sur le désert, avec la sable épars de sa musique aigüe, avec ses larmes, avec ce visage hagard, avec les cris de sa sœur Enina… et il entendait le chef du camp, dans sa soutane blanche, qui hurlait ses jurons démentiels : Crucifixus ! Alléluia ! Eleison ! »



21/02/2013
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