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Le gouffre - Frank Norris

Figure emblématique de l’ère progressiste influencé par Zola, Frank Norris (1870-1902) considérait que le romancier se devait d’être au cœur de la vie. Il est connu en particulier pour «Les rapaces», qui fut adapté par Erich von Stroheim en 1924 pour être l’une des œuvres les plus longues de l’histoire du cinéma, un séquoia du cinéma transformé en bonsaï, coupé par les studios de neuf heures à deux heures – et un roman également traduit en français seulement en 2012, comme «Le gouffre».

 

Publication posthume juste après le décès de l’auteur, «Le gouffre» (1903) connut un succès immédiat aux Etats-Unis, avec près de cent mille exemplaires vendus la première année.

 

Le roman démarre sous les prémices assez ennuyeuses d’une intrigue amoureuse déjà vue dans la littérature anglo-saxonne du XIXème siècle et plutôt irritante car l’héroïne y est représentée comme un personnage sacrificiel et essentiellement tragique aux moyens limités, destinée à apporter un soutien inconditionnel à son mari, quoiqu’il fasse, tout en étant consumée de l’intérieur par ses aspirations romantiques … sans doute le reflet de débats de l’époque sur le rôle respectif des sexes dans la société, mais qui avec le temps ont perdu leur relief pour juste laisser une sorte d’arrière-goût désagréable en bouche.

 

Le personnage central est donc Laura Dearborn, fraîchement débarquée à Chicago, très belle femme tiraillée entre les demandes pressantes de ses prétendants, Sheldon Corthell, artiste reconnu, fortuné et attentionné, Landry Court, employé talentueux d’un cabinet de courtage et Curtis Jadwin, un homme riche et prudent, spéculateur assagi, mais qui va, joueur impénitent et avide de puissance, se relancer dans une bataille épique de spéculation sur le cours du blé.

 

C’est alors que «Le gouffre» devient réellement passionnant, entrelaçant l’histoire amoureuse de Laura Dearborn, la vision de la puissance naissante des Etats-Unis et la bataille boursière de Curtis Jadwin, emportant le lecteur dans ce combat épique de plus en plus risqué, formant une image saisissante de la spéculation, et d’un combat de titans de l’homme pour tordre l’ordre naturel dans le sens de ses intérêts, qui dénonce – déjà – les dangers de la spéculation financière, une œuvre qui résonne au final très fortement dans l’époque actuelle.

 

"Ici donc, au centre de cette nation, de ce continent séparé de l'Ancien Monde par un océan, ici, au cœur même de l'empire des affaires, grondait et rugissait la Bourse. Ici le blé, ce fleuve de vie qui s'écoulait d'ouest en est, cataracte formidable et majestueuse, se heurtait à cet écueil inattendu avec la fureur d'un maelström, tourbillonnant en un spasme terrible et chaotique, frère de sang des glaciers et des tremblements de terre, et s'étonnait, puissance courroucée, que de chétifs humains eussent osé dresser un obstacle sur son parcours."



27/02/2014
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