La porte du palais
Chevilles meurtries par ses liens à peine déliés, ses jambes fines fatiguées
pouvant à peine la porter, sa chevelure toujours brillante, uniquement
retenue par un ruban, masquée par un léger voile blanc, Roxelane
aperçut enfin le palais du sultan, après ce si long voyage pendant
lequel, prisonnière, elle n'avait quasiment rien vu.
Au-delà des murailles, elle gravit les quelques marches de l'immense
perron cerné des hautes colonnes, franchit l'immense porte en ogive,
effleura du bout de ses doigts effilés la dentelle de métal doré si brillant
qui la recouvrait et sentit sous sa paume les froids motifs végétaux du
marbre. Souffle coupé par la hauteur de la pièce, par l'arrondi parfait
du dôme d'une douceur maternelle, par la température froide du lieu
et son contraste avec la chaleur du dehors, par la beauté somptueuse
des céramiques bleues comme les grandes fosses des océans qu'elle
n'avait jamais vu, elle, fille d'un prêtre de Galicie, par la profondeur
des motifs verts comme les hautes herbes des steppes qu'elle avait
traversées, par le choc du rouge comme le sang qui avait été versé
pour la capturer et l'emmener comme esclave, elle entra dans le
vestibule au sol marmoréen blanchâtre veiné de pourpre.
Elle sut qu'elle ne reverrait plus jamais sa ville natale de Rohatyn,
qu'il lui faudrait désormais trouver sa place dans ce palais, et que
cette place devrait être la plus haute pour reconquérir sa liberté.
Avançant dans une pièce plus petite, dont les murs étaient sur trois
côtés meublés de longues banquettes et de sombres coussins, on lui
fit signe d'attendre ; on allait l'emmener au-delà de cette porte devant
elle, l'entrée du harem – un mot dont elle ignorait l'existence, un lieu
dont elle ne savait rien. Par une ouverture creusée dans la muraille,
elle aperçut pour la première fois le sommet de la grande mosquée
voisine et au loin les voiles blanches des bateaux glissant sur le
Bosphore. Sa gorge était serrée, sans qu'elle sache ce qui, de la
soif ou de la perte de tout, lui était le plus douloureux.
Finalement un homme à la peau noire et à la voix bizarrement haut
perchée l'emmena, et le bruit de la porte qui se refermait fit mourir
une partie d'elle-même.
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