Choses vecues Choses lues

Choses vecues Choses lues

Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire – Tabish Khair

Au début du roman (dans un premier chapitre intitulé "Prolégomènes à une intrigue"), le narrateur, un pakistanais d'éducation musulmane et devenu athée, professeur de littérature anglaise à Aarhus au Danemark, se masturbe désespérément au volant de sa Hyundai pour tenter de récupérer un échantillon de son sperme dans un récipient de plastique pour une procréation médicalement assistée. Ça ne fonctionne pas car il est trop pressé (il doit prononcer une conférence une heure plus tard loin de là) et stressé (notamment par l’apparition d’une voiture de police dans la brume matinale).

À la suite de cet échec et de son refus de continuer ces tentatives, son mariage va imploser et il va s’installer en colocation avec Ravi, un indien hindouiste de la grande bourgeoisie, écrivain thésard au charme dévastateur, dans l’appartement de Karim Bhai, un chauffeur de taxi, indien lui aussi, un musulman orthodoxe et rigide, dénué de tout humour.

 

Mais ce n’est pas tout, pour les prolégomènes. Le narrateur, écrivain-professeur malicieux ou tout du moins absolument non fiable, au parcours remarquablement proche de celui de l’auteur, nous enseigne comment raconter une histoire en même temps qu’il le fait : En annonçant d’emblée, et au fil du récit, que des événements dramatiques à forte portée médiatique vont nous être révélés, que cet appartement fut celui mentionné dans tous les tabloïds lorsque "la chose" est arrivée, qu’il aurait du se méfier…, il va nous démontrer, par la construction de la narration elle-même, comment nos préjugés se forgent, et très souvent à tort.

 

La cohabitation des trois indopakistanais, leurs échanges, leur voisins et collègues, et leurs histoires d’amour – des rencontres via Internet à l’histoire d’amour de Ravi avec une danoise superbe mais toujours sous contrôle -, forment un roman passionnant à multiples intrigues, qui questionne les limites d’une société danoise (et occidentale) qui se dit permissive, la frontière ténue entre foi aveugle et fanatisme violent, et qui instille subtilement une défiance justifiée, vis-à-vis des media et des idées reçues.

 

Avec son titre provocateur (la première fausse piste d’un écrivain apparemment très joueur), en hommage à Dany Laferrière, «Comment lutter contre le terrorisme islamiste dans la position du missionnaire» est une lecture jubilatoire et profonde. Un bonheur de lecture.

 

«Ravi se l'expliquait ainsi : "Presque tous les Angliches et les Yankees titulaires dans les facultés d'anglais du Danemark, qui sont ici au fond parce qu'ils sont américains ou angliches, et tous les Danois, qui sont ici parce qu'ils sont Danois - ce qui me semble déjà beaucoup plus logique -, adorent la littérature multiculturelle, bâtard. Tu le sais bien. Nous le savons bien. Cela leur rappelle leurs arrière-grands-parents aux colonies. Evidemment ils aiment Rushdie et Naipaul. Naipaul, Kureishi, Rushdie : enfin, ces types sont tellement indiens qu'ils parlent même avec un accent anglais ! Voilà pourquoi les gens comme nous devraient écrire des romans, "yaar" ; imagine tes collègues se tortillant dans tous les sens, partagés entre leur désir d'être ouverts d'esprit et la crainte souterraine que nous leur chapardions leur langue de pain et de beurre, et ceci avec notre accent délibéré de "roti" et de "ghee".»

 

Lexique (dans le glossaire à la fin du roman) : "Yaar" : Mon vieux, mon pote (argot hindi) "Roti" : Pain plat de farine complète, sans levure "Ghee" : Beurre clarifié



22/01/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres