Choses vecues Choses lues

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Canal Mussolini – Antonio Pennacchi

Paysans sans terre du nord de l’Italie ruinés par la réévaluation de la lire décidée par Mussolini en 1927, aux effets désastreux sur les revenus des agriculteurs, chassés des domaines qu’ils cultivaient du fait de l’avidité des propriétaires terriens qui les employaient, les Peruzzi vont, pour obtenir enfin une terre, émigrer vers les marais pontins en 1932, au moment de l’assèchement sous le régime fasciste, de ce lieu historiquement infesté de malaria et très peu peuplé, assaini avec le creusement du Canal Mussolini.

 

Les Peruzzi ne connaissaient rien à la politique mais ils rêvaient de justice sociale après leur expulsion brutale par le comte Zorzi Vila (leur propriétaire terrien) ; le grand-père avait un jour défendu Rossoni, ancien syndicaliste ensuite devenu fasciste, proche de Mussolini jusqu’en 1943. Ils ont donc laissé tomber le rouge pour endosser la chemise noire avec l’arrivée au pouvoir de Mussolini.

 

Le destin de la tribu Peruzzi, les grands-parents et leurs dix-sept enfants, mêlé à celui de l’Italie, nous est raconté par un narrateur, dont l’identité ne nous sera révélée qu’à la toute dernière page, qui ne cesse de nous interpeller comme si nous étions de vieilles connaissances.

 

Avec ce style parlé, Antonio Pennacchi rassemble sous un même toit, une fresque historique couvrant la première moitié du XXème siècle, un témoignage exceptionnel sur les conditions de vie des paysans italiens sans terre, sur les contradictions de leurs destins, et, avec plusieurs histoires d’amour très émouvantes, la saga d’une famille aux héros mythologiques – en particulier la grand-mère chef de clan aux visions prémonitoires, le fils Pericle, courageux, sanguin et sentimental et sa femme Armida qui parle aux abeilles.

 

« Qu’il soit bon ou mauvais, ce livre est la raison pour laquelle je suis venu au monde. » : voici les premiers mots d’Antonio Pennacchi, en introduction à Canal Mussolini. Et ce roman est effectivement l’aboutissement réussi d’une grande ambition historique, personnelle et littéraire.

 

« En 1931, en voyant l’Œuvre des combattants dévorer en un tour de main les marais et installer ses colons de Vénétie dans les premiers domaines, les habitants de Sezze et des villages environnants ont protesté : « Pourquoi vous ne nous les donnez pas ? Pourquoi vous les appelez ? Ca fait une éternité que nous vivons ici, et vous en appelez d’autres ? À eux les bonnes terres asséchées, et à nous les cailloux des montagnes ?

Ils n’avaient qu’un seul espoir : que nous mourions. « Tu verras, la malaria les fauchera les uns après les autres, ces Cispadans. » Or, les années passaient, et les Vénitiens, les Frioulans, les Ferrarais continuaient d’occuper les domaines sans grandes pertes. Les montagnards enrageaient. […]

Nous ne nous sommes jamais entendus. Nous avions des façons de parler, de manger, surtout de penser, différentes. Ils ignoraient ce qu’étaient les tortellini ou les cappelletti servis dans du bouillon. Et nous ignorions, quant à nous, ce qu’étaient les olives. Ma grand-mère racontait qu’une glaneuse de ces montagnes lui en avait un jour offert un sachet en remerciement. Elle les avait acceptées – « Merci mille fois » - puis les avait jetées dans le fossé dès que la femme avait eu le dos tourné : « C’est quoi ça ? ». Nous n’en avions jamais vu. Nous craignions qu’elles ne nous empoisonnent. »



23/02/2013
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